D’ailleurs, c’est toujours comme ça. On ne comprend rien et on finit par mourir !

Cul Slide

Vernissage le vendredi 16 janvier 2015 de 18h à 21h

Exposition du 18 janvier au 22 mars 2015
Les Modillons – 2 allée du Logis Cassé – 16430 Vindelle – www.lesmodillons.com

Ouverture les dimanches de 15h00 à 18h30 et sur rendez-vous (Entrée libre).
Contact : Catherine Mallet / mallet.catherine@gmail.com / 06 62 56 16 69 – 05 45 21 65 29

En collaboration avec la Galerie Patricia Dorfmann, Paris.

 

Je suis un skateboarder. C’est quelque chose que j’ai beaucoup de mal à associer avec ma pratique artistique, mais à 44 ans il est difficile de nier l’influence qu’à encore aujourd’hui cette pratique quotidienne dans mon art. Dire qu’elle est à la base de tout serait faux, mais ma vision a littéralement été façonnée par le rapport à la ville que le skateboard sous-tend, et plus particulièrement à la rue. Je pensais dernièrement que l’héritage situationniste légué par ma mère (elle fut un temps la meilleure amie de Guy Debord) trouvait un de ses aboutissements dans cette culture, du détournement à la psychogéographie, en passant par la dérive. Quand on sait que le skateboard moderne est né à l’époque du punk, lui-même influencé par Malcom Mac Laren, nourri d’idées situationnistes, on comprend mieux pourquoi il a pu tenter toute une génération de gamins qui avaient du mal à s’intégrer dans les groupes classiques de jeunes de leur âge, et cherchaient aussi une réponse culturelle à leur mal-être. Dans les années 80 et le début des années 90, être skateboarder était particulièrement mal vu. Nous étions souvent sales, refusions de porter des marques – ce qui a bien changé pour la nouvelle génération – et n’en avions rien à foutre de rien, avec un côté autodestructeur qui, lui, a peu évolué. Le skateboard est un sport violent basé sur l’idée de tomber et de toujours se relever, mais c’est aussi un sport (nous ne l’appelions jamais comme ça), où le graphisme et de manière générale l’idée de style, est prédominante et constamment remise en question. La consistance y est primordiale, synonyme d’authenticité et de régularité dans la durée.

Horse 12 x 18 © Emy Nassy

Photo Emynassy

J’ai rencontré Jeremy au début des années 2000 et Sam en 1990, alors que j’étais moi-même skateur depuis le début des années 80. Tous trois avons choisi différentes formes d’art pour nous exprimer à différentes périodes de nos vies. Jeremy est progressivement devenu photographe au moment où il se lassait de sa carrière de skateboarder sponsorisé et Sam, après un début remarqué dans l’art contemporain, est devenu technicien pédagogique aux beaux arts d’Angoulême où j’avais fait un cours séjour en 1990. Il n’a jamais cessé d’être habité par ses créations passées et futures. Je suis pour ma part devenu « connu » pour mes dessins noirs et blancs, alors que je continue de croire au potentiel du reste de mon travail, notamment celui basé sur l’auto-édition, la peinture et les performances, qui reçoit pourtant encore un accueil mitigé dans le milieu de l’art contemporain. J’imagine que notre rapport commun à la rue, fait de nous des gens assez peu malléables, nourris d’une culture à la fois populaire et élitiste dans un genre particulier – que l’on pourrait définir comme indépendant s’il n’était pas aujourd’hui tellement parasité par toutes les grosses marques qui ne se lassent pas du potentiel commercial que tout ce qui est considéré comme  « alternatif » représente.

Crash5

CrasH # 5 Samuel Neuhardt

Quand Jeremy m’a présenté à Catherine et parlé de son espace d’art non loin d’Angoulême, j’ai été immédiatement intéressé. Il était alors question qu’il y ait un jour où l’autre une exposition personnelle, ce qui m’a poussé à inviter mon autre ami Sam à y exposer avec moi à sa place, quand ce projet s’est mis en branle, avec le soutien de ma galeriste parisienne Patricia Dorfmann. Le travail de photographie de Jeremy, plus classique, avait du mal à s’inscrire dans notre rébellion toute « contemporaine ». Jeremy me parle souvent de « ses tripes », quand il parle de ses photos, de ses reportages, de sa façon d’envisager le monde et la vie, qui est pourtant très proche de la nôtre, avec la capacité de faire des concessions en moins, et une dialectique moins écrite. Cette exposition, d’une certaine manière, lui est dédiée – en tout cas, je lui dédie.

ARTUS&SAM-exposition-modillons-invitation

Nous vivons dans un moment de l’art ou toute générosité semble interdite, à partir du moment où elle ne cadre pas avec la grande image que véhicule ce que l’on a arbitrairement décidé de considérer comme l’art de notre temps, sans qu’il n’existe pour autant aucun réel recul pour juger de ce qui doit rester, ou pas – si l’on décide d’ignorer que la côte a aujourd’hui plus d’importance dans le système de reconnaissance du travail de l’artiste que son authenticité réelle.

 

« Mais après avoir ramassé un petit magot, il faudra te tirer avant de devenir comme eux ».

 

À chaque fois que je fais une exposition, je ne peux m’empêcher de penser à mes amis, tous mes amis, moins « malins » que moi (dans le sens petit du terme), qui n’ont su, ou pu, se confronter au marché dans ce qu’il a, non pas d’excluant, mais de formateur. Quand j’étais jeune, et maniais encore la photocopieuse comme moyen principal de diffusion de mon travail – je n’ai jamais cessé quoique je m’en serve plus aujourd’hui à des fins d’archivage, j’entendais beaucoup parler d’entrisme, une notion politique détournée de son sens premier. J’imaginais alors des punks devenus cadres dynamiques, qui feraient (ou faisaient) changer le monde de l’intérieur. Vingt ans plus tard, je connais le pouvoir de la publicité, des médias, et pour faire simple, de l’argent sur les destinées humaines. Qui parle encore d’intégrité aujourd’hui, d’authenticité, autrement que pour vendre encore mieux et encore plus, de l’art comme des hamburgers ou des fringues de créateurs obscurs labellisés mode, et donc potentiellement devenus des incontournables de la génération post internet – celle pour qui le recul dans le temps ne dépasse jamais une saison.

 

Expo les Modillons

 

L’art ne peut être considéré comme un produit. Il ne le sera en tout cas jamais dans mon esprit, et je ne crois jamais m’être laissé guidé par une perspective « juteuse » – même lorsque je fais de la publicité j’essaye toujours d’inclure cette dernière dans mon « système artistique ». Dire non au marché (quoi qu’on en pense), c’est passer à côté de son époque, dans ce qu’elle a de plus contemporain et qui n’est pas forcément de l’art, mais pourrait facilement le devenir. Avoir un « second métier », n’est pas inconciliable avec le fait d’être artiste. Photographe, dessinateur, artisan. Avant d’être une vue de l’esprit, l’art est avant tout une pratique, comme le skateboard, avec ses figures improvisées sur des bases connues, ou le style, avant le niveau, peut délimiter une carrière. Tomber, cela veut dire que l’on a appris quelque chose. Faire tout pour réussir, c’est devenir l’ennemi. L’entrisme n’existe pas car il restera, de tout temps, du côté de la sincérité, qui n’est pas la vérité, « pour trop vouloir lui ressembler ».

 

Des bises

Artus