Ébauche de réflexion sur les livres, décembre 2013.
Quand j’ai commencé à scanner mes images pour le livre auto-édité sur La chambre, je ne savais pas que ce projet me prendrait plus de trois ans et qu’il aboutirait à une multitude de livres qui constitueraient une étape déterminante dans ma pratique artistique d’archivage du quotidien. Je ne pensais pas non plus que ce projet s’inscrirait dans l’art posthume de façon aussi évidente et permettrait de comprendre ce que j’entendais moi-même par ce terme en tant que pratique vivante. Si l’on regarde de plus près ces livres, on réalise que l’idée première de témoignage de vécu et de partage a déviée vers autre chose, puisqu’elle m’a permit de prendre conscience de mon travail dans son intégralité et de donner une forme physique à l’idée que je me faisais de l’artiste dans sa capacité à exister en marge de tout système légitimant. Ces livres, dans leur multitude même, représentent une forme de résistance. Qu’ils soient liés à un quotidien et à un temps précis, linéaire et le plus souvent chronologique, leur permet d’être considérés comme la trace exacte d’une ambition et d’un élan dégagé de ce besoin de reconnaissance immédiat qui est l’une des marques les plus fondamentales de notre époque. Je ne dis pas que ce besoin est absent, car dans son essence même le livre implique une volonté de toucher le public de façon directe et de l’inscrire dans une histoire, mais il est important de montrer qu’il est plus ici question de de simplicité et d’investissement dans un métier que d’un présent sublimé jusqu’à la honte pour confondre vérité et instantanéité. Si je parle de métier, alors que j’ai passé plus de la moitié de ma vie à me battre contre la professionnalisation à outrance et à revendiquer l’amateurisme, c’est parce qu’il y a pour moi une différence cruciale entre l’élitisme de ceux qui disent savoir comment telle chose doit ou ne doit pas être, et l’humilité de celui qui fait et sait l’erreur indissociable du réel labeur. Les actes ne sont pas des concepts froids et excluant, car ils sont avant tout motivés par la vie et ce qu’elle représente en termes de choix et d’expérience – de rencontre. Croire que l’on peut tout maîtriser serait oublier que la vie n’est pas forme, mais mouvement. Vouloir la figer, la classer et l’organiser pour répondre à un besoin précis me paraît aussi fou que d’affirmer que ceci est bon et cela mauvais à un moment donné, car la fonction même de l’art est de dépasser ces moments pour incarner une durée potentiellement « posthume ».